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La Lectrice
3 juin 2005

Primo Levi (suite)

Ce matin, la lecture de Primo Levi dans les transports en communs bondés par les grèves avait quelque chose d'effarant. Non, je ne ferai pas le parallèle entre les wagons plombés et nos rames surpeuplées de travailleurs résignés, avec parfois ça et là, un mouvement de colère, une indignation à peine rentrée qui se manifeste sur nos compagnons d'infortune.

Coup de gueule

Oui, messieurs des syndicats des transports qui décidez des mouvements sociaux. Que défendez-vous ? Vos privilèges, à n'en pas douter. Les quais sont remplis de travailleurs, femmes et hommes, qui peinent à joindre les deux bouts, luttent pour arriver à l'heure et sont fatigués de vos perpétuelles revendications, qui ne contentent que vous et certainement pas les 3 millions de chômeurs, ni les salariés pauvres... Je l'écris d'autant plus volontiers que je n'ai pas à rougir de l'engagement que j'ai auprès des salariés de l'entreprise qui m'emploie. Et je rage parce que les années passants, ces épisodes me font devenir chaque jour un peu plus intolérante. Est-ce cela vieillir ?

Comment survivre à la vie ?

Deux thèmes abordés par Primo Levi m'ont fait réfléchir. Le premier est celui des survivants du Lager. Pourquoi moi ? s'interroge-t-il. Ai-je failli au devoir de solidarité en arrivant à survivre au détriment des autres ?  Pour témoigner ? Non, certainement pas.

"Les "sauvés" du Lager n'étaient pas les meilleurs, les prédestinés au bien, les porteurs d'un message : tout ce que j'avais vu et vécu montrait exactement le contraire. Ceux qui survivaient étaient de préférence les pires, les égoïstes, les violents, les insensibles, les collaborateurs de la "zone grise" (c'est-à-dire ceux qui en étant opprimés participaient plus ou moins activement à l'oppression, note de la lectrice), les mouchards. [...] Les pires survivaient, c'est-à-dire les mieux adaptés, les meilleurs sont tous morts."

Je repense à ce merveilleux roman de William Styron, Le Choix de Sophie, qui m'avait bouleversée ado et que j'ai relu récemment avec la même stupeur. Sophie survit au camp. Elle a sacrifié sa fille contre son fils (le choix de Sophie) mais également est employée comme servante au domicile du commandant du camp.

Qu'est-ce qui fait que l'on survive dans des conditions extrêmes ? Quelle est la part d'adaptabilité, quelle est celle de compromis ? Un autre livre fondamental, qui explore dans le registre de la fiction, cette problématique est Mickael K, sa vie, son temps, de JM Coetzee. Où l'on voit le héros survivre dans le désert, seul, avec quelques graines de potiron. Je voudrais aussi citer Vendredi ou les limbes du Pacifique, de Michel Tournier, où Robinson s'introduit et laisse couler le temps dans le ventre de Speranza, l'ïle déserte.

L'homme seul (l'être humain, bien sûr), seul avec lui-même, seul avec les autres.

Le pouvoir

Le second thème abordé dans le chapitre II La zone grise, est celui du pouvoir et de l'ascension des privilégiés. "L'ascension des privilégiés, non seulement au Lager mais dans toutes les sociétés humaines, est un phénomène angoissant mais fatal : ils ne sont absents que dans les utopies."
Je ne peux m'empêcher de faire le parallèle avec le pouvoir exercé au sein des entreprises, qui est une des formes les plus anti-démocratiques d'organisation, au coeur même de notre société démocratique.
"C'est le devoir de l'homme juste de faire la guerre à tout privilège non mérité, mais il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'une guerre sans fin. Là où existe un pouvoir exercé par un petit nombre ou par un seul homme, contre le grand nombre, le privilège naît et prolifère, même contre la volonté du pouvoir lui-même, mais il est normal au contraire que le pouvoir, le tolère et l'encourage."

A méditer avec tous ceux qui dans mon entourage glosent lors des pauses cigarettes -et j'en fait partie !- sur le pouvoir de quelques chéfaillons nuisibles... Qui ne sont pas mauvais en eux-mêmes mais dont leur nuisance se révèle dans l'exercice médiocre de leur tyrannie.

En guise de conclusion

Primo Levi n'aurait peut-être pas écrit comme le souligne justement un commentateur - à l'inverse de Anne Franck, qui, selon moi, portait en elle tous les talents d'une future écrivaine - . Cependant, lire Primo Levi, c'est à la fois accéder à la réflexion philosophique et psychanalytique, sans même avoir le moindre bagage scientifique pour aborder ces idées (c'est mon cas), mais juste en faisant marcher son esprit et en faisant résonner ses phrases dans l'intimité de sa conscience.

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